Source : http://www.egora.fr/
Survivra, survivra pas ? Le
quinquennat qui se termine laisse l’Ordre des infirmiers (ONI) en
lambeaux, repris en main par une équipe élue dirigée par Didier
Borniche, élu pour traverser enfin la crise aigue subie par l’organisme
depuis sa création en 2006.
En juillet dernier, lassée des péripéties itératives de l’ONI, Nora
Berra la secrétaire d’Etat à la Santé, avait pris ses distances et
laissé entendre qu’en dépit de la loi qui régit les ordres
professionnels, à adhésion obligatoire, la piste d’une adhésion
facultative pourrait s’imaginer pour les infirmiers. Pour sa part et
sans aller jusque-là, Xavier Bertrand, le ministre de la Santé n’avait
de cesse de rappeler les grosses erreurs de gestion de l’organisme. Et
son refus de soutenir un tel canard boiteux.
Aujourd’hui pressenti pour
entrer au gouvernement, le député du Parti socialiste spécialiste des
questions de santé, Jean -Marie Le Guen s’était à son tour, positionné
pour une adhésion facultative. Mais aucune prise de position officielle
n’a été relevée durant la campagne. L’Ordre des infirmiers est-il
condamné à vivre ? Etat des lieux en cette journée internationale de
l’infirmière.
Un beau rêve
Il s’agissait pourtant d’un beau rêve : celui d’un ordre professionnel
réunissant dans une même famille les 515 700 infirmiers de France
métropolitaine quel que soit leurs statuts, les 17 % formant le corps
des libéraux aux cotés des hospitaliers et des salariés. Un organisme
permettant à cette profession adorée des Français de rattraper son
retard d’autonomie par rapport au corps médical, de valoriser et faire
évoluer ses compétences tout en faisant le ménage dans ses rangs en
veillant au grain. Un organisme qui aurait érigé cette profession au
rang de force, et non plus de simple effecteur inféodé au pouvoir
médical. Mais… le beau rêve né en 2006, véritablement opérationnel en
2009 s’est lentement effondré. La faute à qui ? Sans doute au complexe
d’Icare, qui a touché les premiers dirigeants d’une institution à la
gestation particulièrement longue, tant la réticence des syndicats de
salariés était forte à l’idée de voir émerger une structure qu’ils
vivaient directement concurrentielle. L’ordre a voulu s’approcher trop
près du soleil. Ses ailes ont fondu et il a chuté. Depuis, ont émergés
les unions régionales de professions de santé (Urps), les agences
régionales de santé. Un ordre tellement contesté a-t-il encore une
place ?
Dirigée par Mme Dominique Le Boeuf, présidente élue avec un score
véritablement bananier, la première équipe aux manettes semble, c’est
vrai, avoir été saisie par un certain vertige. “Quand on a le pouvoir, il faut faire attention. Manifestement, ces gens-là n’ont pas su gérer le pouvoir” soupire
aujourd’hui Annick Touba, la présidente du Syndicat national des
infirmiers et infirmières libéraux (Sniil). Ce syndicat qui fut “concepteur”
de l’ordre a ainsi vu s’effondrer son beau projet sous l’impact des
rêves pharaoniques de l’équipe dirigeante. Sans se soucier plus que cela
du nerf de la guerre : la remontée et le paiement des cotisations d’un
montant de 75 euros pour tous (150 euros pour les sociétés d’exercice
libéral) et de l’équilibre budgétaire allant avec, l’équipe au pouvoir a
appuyé sur le starter. Elle s’est mise à embaucher à tour de bras
(jusqu’à 140 permanents), constituer des équipes régionales et
départementales, louer ou acheter des locaux, mener des campagnes
d’information… Les premières inscriptions au tableau ont été organisées
en 2009 et le rendez-vous fatal a eu lieu trois ans plus tard, lorsque
l’Ordre a été mis en cessation de paiement.
Titanic
Dépenses excessives, rentrées de cotisations grippées (60 000
adhésions seulement sur le demi-million attendu), 7,8 millions de
déficit. La Bred, sa banque principale refuse de remettre au pot, le
gouvernement fait la sourde oreille. C’est le Titanic.
Avant de démissionner, et ce sera sans doute sa dernière décision,
Dominique Le Boeuf réduit la cotisation à 30 euros pour tous les
infirmiers salariés, à 75 euros au lieu de 150 euros pour les sociétés
en exercice libéral. Mais elle la maintien à 75 euros pour les
infirmières libérales. Son vice-président, David Vasseur recueille la
confirmation, de la part de Xavier Bertrand, que le gouvernement
n’apportera aucun soutien financier à l’Ordre, coupable d’énormes
erreurs de gestion malgré les « warnings” allumés de tous côtés. Il
démissionnera à son tour. Fin de la première partie. Et début de la
deuxième manche. Le deuxième ver est entré dans le fruit.
“C’est intolérable, le président de l’Ordre, Didier Borniche, envoie de citations de payer aux infirmières. Les
libérales ont raison de refuser d’acquitter, pratiquement seules, des
cotisations à 75 euros, Xavier Bertrand nous a soutenu. Nous voulons des
cotisations à 30 euro pour tout le monde ou sinon, nous demanderons au
parlement l’abrogation de cet ordre qui ne sert plus à rien”,
s’énerve aujourd’hui Philippe Tisserand, le président du la FNI, la
Fédération nationale des infirmiers. Pour ce responsable qui fut lui
aussi un des concepteurs de l’ordre, c’est clair : “L’ordre n’a
plus les moyens de travailler : la durée des mandats des élus a été
prolongée par la loi car il n’a même plus les moyens de faire des
élections. Cela n’a plus de sens”.
Une salve vengeresse basée sur le prix de la cotisation, dont il a
diffusé la substantifique moelle par communiqué et qui lui a valu en
retour, quelques jets d’acide lancés sur le net par Annick Touba. Avec
un soupir consterné, celle-ci nous confie : “Ce monsieur était
conseiller national de l’ONI, un cadre très proche de Dominique Le Bœuf.
Il a personnellement voté en mars dernier, l’abaissement de la
cotisation des salariées à 30 euros. Je lui demande simplement d’être
cohérent, c’est cela que je dénonce”…
Rendez-vous manqué
Un simple problème de personne, la remise de l’ONI dans le droit
chemin ? Pas si simple. La nouvelle équipe a du pain sur la planche.
Cadenassée par le plan de redressement imposé par les banques, l’Ordre
doit filer doux. On a licencié, le budget a été remis à plat, l’idée
irréaliste d’une implantation partout en France a été évidemment
abandonnée. “Nous sommes dans un rééquilibrage, l’équipe de
Didier Borniche a eu le courage de relever le gant, assainir les comptes
et changer de stratégie” raconte Maryline Pecnard, la
secrétaire générale adjointe. Se targuant d’avoir environ 110 000
cotisants à jour, elle ne se paie pas de mots pour autant. Le chemin
sera long vers la réhabilitation. Une enquête de l’ONI est en cours pour
connaître les demandes des infirmiers car l’ordre nouveau veut être à
leur service. “Il faut que les gens sachent ce que nous faisons
et sommes les seuls à pouvoir faire, les inscriptions au tableau, la
police dans nos rangs au travers de nos chambres disciplinaires. L’Ordre
est garant de la moralité des professionnelles”, énumère-t-elle. “Le
changement, c’est aussi que nous avons une réelle volonté de dialogue et
d’ouverture”.
Quel sort pour l’ONI demain ? “Nous représentons 110 000
cotisants, la loi nous a confié des missions, on ne peut faire une croix
sur nous. Je ne sens pas d’opposition formelle de la part de la
nouvelle majorité”, tente de se rassurer la secrétaire générale
adjointe. L’équipe dirigeante poursuit les contacts entamés durant la
campagne, tout en ne se cachant pas que le sort de l’Ordre dépendra
surtout du Parlement, qui l’a créé. “Un ordre à cotisation facultative,
c’est la mort de l’ordre” tacle Philippe Tisserand en insistant sur le “rendez-vous
manqué de la profession”. Il se réfère au cas des orthophonistes, qui
ont refusé d’avoir un ordre, et “avancent plus vite que nous. Elles sont
inscrites au répertoire professionnel des professions de santé, sont en
relation avec les agences régionales de santé. Tout s’est fait plus
vite. Voilà de quoi réfléchir”.
Il s’agit aussi d’un rendez-vous manqué pour Annick Tisserand, qui
enrage en comparant la situation de la France avec le Québec, d’où elle
revient et où les infirmières ont un poids réel. “Les grandes
centrales syndicales des hôpitaux ont fait barrage, les professionnelles
n’ont pas suffisamment pris conscience de la nécessité d’un ordre”. La présidente du Sniil ne pense pas néanmoins que l’ONI disparaisse, “sauf si le gouvernement le tue. Et rien ne se passera avant les législatives” .
Un ordre à adhésion facultative ? Un non sens pour le Sniil. Un danger
réel pour l’ONI, où l’on ajoute, perfide, que cette situation mettrait
en péril tous les autres ordres. Est-ce vraiment ce que souhaite le
gouvernement ?
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